lundi 15 août 2016

L'hypnotique "Einstein on the beach" et le courant minimaliste


C'est parce qu'il représente la quintessence du courant musical et artistique dit "minimaliste" né aux États-Unis en 1960 et qu'il influença toute une génération de chorégraphes, que je souhaite aujourd'hui vous présenter le très absurde opéra et ballet contemporain "Einstein on the Beach".

Cet opéra a été crée en 1976 par Philip Glass en collaboration avec le metteur en scène Robert Wilson et la chorégraphe Lucinda Childs, est à l'image de son titre : absurde, hors cadre, hors référence fait de somptueux tableaux vivants qui s’enchaînent lentement durant quartes heures.

 "Einstein on the Beach est une oeuvre abstraite, fait de mots, chiffres lus et chantés de manière répétés, inlassablement, portés par une mise en scène également faite d'images doublées, représentations symboliques de ce que pourrait être l'état d'esprit d’Einstein. Des danseurs arpentent le spectacle, par des déplacements de mouvements simples, faits de sauts, tours, simples combinaisons de pas qui sont répétés à l'infini sous différentes combinaisons.
Celui qui regarde "Einstein on the Beach" doit apprendre à lâcher prise, à se laisser prendre par la puissance hypnotique de cet Opéra. Laisser son esprit aller où il veut, vagabonder sans peur de perdre quelque chose à ce qui se passe, car c'est ainsi que le sens de cet Opéra est à mon avis transmis. 

Le courant minimaliste 


C'est le propre du courant contemporain minimaliste de revenir aux sources du mouvement musical et dansé fait de répétitions de rythmes simples et mouvements répétitifs qui induisent la transe. C'est une structure universelle, on la retrouve dans toutes les cultures. C'est elles qu'on utilise dans tous les rituels religieux, les rites magiques ou/et thérapeutiques (exemple le musique et danse chamane). Elle a donc une fonction spirituelle. Steve Reich, autre compositeur emblématique de ce courant dit d'elle : 

 "La musique doit rester émouvante et nous replacer dans un état primitif de notre sensibilité."

 Le parti-pris esthétique du courant minimaliste est donc celui-ci : épurer et simplifier pour revenir à la source d'une sensibilité primitive et commune ceci par l’élaboration d'une architecture musicale et chorégraphique complexe qui laisse aux interprètes aucune place à l'improvisation et à l'inspiration du moment. Contrairement à ce que l'on peut retrouver dans d'autre courant musical et chorégraphique, ou l'intention du danseur et du musicien crée le mouvement, la' encore, c'est par l'élaboration d'un composition précise, mathématique et géométrique qu'est donnée l'émotion.

 Le courant minimaliste suit le mouvement de la pensée, fait de boucles, de répétition qui évoluent. C'est une forme de sur-réalisme, car il ne fait que s'inspirer de ce que fait la nature : combiner de différentes manières une même cellule. La complexité se trouve dans la combinaison de ces éléments. Outre Lucida Childs de nombreux chorégraphes ont été inspiré par la structure de cette musique, en Europe la plus emblématique est Anne Teresa De Keersmaeker qui construit ses chorégraphies de la même sorte, par la répétition et l'accumulation de pas simples placées dans l'espace d'une façon extrêmement précise. 
Quand la répétition ne vous plonge pas immédiatement dans la transe, regarder la chorégraphie de Lucina Chils ou Anne Teresa De Keersmaeker peut-être un jeu, celui de repérer les mouvements répétitifs et d'observer de quelle façon ils sont répétés avec quelles variantes... Les variantes peuvent être la façon dont ils sont combinés dans l'espace, l'ordre de combinaison, ou des petites modifications dans le mouvement de base eux-mêmes (un mouvement qui est répété plusieurs fois ou trois, un qu'on supprime, etc) 



En savoir plus :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Musique_minimaliste
https://fr.wikipedia.org/wiki/Lucinda_Childs

jeudi 11 août 2016

Solo pour un danseur : "Smoke" (part1)


C'est avec un film de danse, brillamment réalisé car il a su allier l'art cinématographique à celui de la danse, que j'inaugure une série "Solo pour un danseur".

Ce Solo, spécialement conçu pour la télévision suédoise, est la première partie d'un film de danse intitulé "Smoke" chorégraphié par Mats Ek pour son frère Niklas Ek, et la célèbre danseuse Sylvie Guillem. Petit chef d'œuvre dans le genre qui utilise des trucages vidéos, impossibles au théâtre au service du récit chorégraphique.

Nikla Ek : Un interprète hors pair

Nilkla étudie la danse dans sa Suède natale, puis à New-York avec Martha Graham et Merce Cunningham. Il retourne danser dans la compagnie fondée par sa mère, la célèbre chorégraphe Brigit Cullberg, tout en faisant une retour de trois ans avec le Ballet du XXe Siècle de Maurice Béjart. Lorsqu'il danse ce solo, Niklas a 52 ans et une longue expérience de danseur derrière lui. Son étonnante jeunesse, souplesse et élégance et sa maturité d'artiste interprète, confèrent à cette pièce une dimension théâtrale et dramatique rarement égalée en danse.

Regarder ce solo, c'est se laisser plonger dans l'abime de l'inconscient individuel et se laisser emporter parce qu'il évoque en nous d'intime et personnel. La musique du compositeur estonien Arvo Pärt hypnotique et par sa mélodie répétitive nous transporte un peu plus dans ce monde et temps intime et subjectif...


Smoke by Mats Ek (Part 1) from Dee Kearney on Vimeo.

lundi 27 avril 2015

Danse avec le vent..

Mercredi dernier, j'ai eu le plaisir d'assister à la représentation de la compagnie Non Nova, "Vortex", spectacle interprété par Phia Ménard. Cette artiste a réussi l'exploit technique de créer une pièce d'un nouveau genre inclassable, entre théâtres, danse et art du cirque. Faits d'enchaînements composés de duos et solos avec comme seul partenaire de jeu de la manière plastique animée par des courants d'air provoqués par des ventilateurs placés tout autour de la scène.

Il faut dire, la prouesse technique est extraordinaire. Nous avons tous un jour ou l'autre admiré la belle danse que fait un sac en plastique emporté par le vent. Instant de danse improvisée, que Phia Ménard et sa compagnie par un travail qu'on imagine titanesque, recrée et dirige tel un marionnettiste le ferait avec des courants d'air à la place des fils. 
Un danseur qui regarde ces bonshommes en plastique faire un véritable duo sur l'air de Debussy en prend un coup, cette expressivité qu'il cherche des heures durant dans un studio se voit exprimée avec autant de vigueurs par quelques simples personnages faits de sacs en plastiques animés par des courants d'air. On y gagne en modestie...

Ce travail technique est d'autant plus remarquable que l'habilité qu'il nécessite n'est pas ressentie, elle est au service du récit, l'histoire d'une transformation physique et intellectuelle d'un homme en femme. Je dois vous confesser que le thème, maintes fois abordé dans la danse, ne m'attirait pas. Si les photos du spectacle m'interpellaient par son esthétique, le pitch qui s'y referait me rappelait des spectacles de danse contemporaine des années 80/90, peu travaillés, conceptuels et psychodramatiques, qui, s'ils avaient le mérite de servir thérapie à l'interprète, avaient le défaut d'ennuyer le spectateur qui partait avec une chape de plomb sur la tête.
Rien de tout ça ici. Au-delà' du fait que l'expression de Phia Ménard dégage une véritable puissance qui rappelle des passages de "Ecce Homo" du philosophe Allemand F. Nietzsche :

 "Au plaisir que nous procure l'individu bien conformé : ce qu'il est taillé d'un bois à la fois dur, tendre et parfumé. Il n'aime que ce qui lui fait du bien ; son plaisir et son envie cessent dès qu'il dépasse la limite de ce qu'il lui faut. Si quelque chose lui nuit, il devine le remède ; il fait tourner la mauvaise fortune à son profit ; tout ce qui ne le tue pas le rend plus fort. II fait instinctivement son miel de tout ce qu'il voit. entend et vit ; il est un principe de sélection, il laisse tomber bien des choses..."

La mise en scène de Phia Ménard est finement travaillée de manière à nous emporter avec elle dans le tourbillon d'une transformation, d'une quête d'infini, faite de succession d'étapes, de douleurs, de libérations et d'accouchements successifs. Tourbillons d'émotions qui nous poussent à nous interroger sur ce qui nous anime et nous compose. La réflexion est induite par ce que le spectacle provoque en nous. On en sort en emportant avec soi une énergie de volonté, d' interrogations et de trouble...

Spectacle à voir ! 

Site internet : http://www.cienonnova.com/








mardi 21 avril 2015

Ce soir, je sors !

Merci à la Télévision Suisse Romande qui m'a offert deux places pour le spectacle d'une artiste/interprète atypique et non-catalogable : Phia Ménard. J'ai hate de découvrir cette artiste qui mélange jonglerie, danse et effets visuels...

Le pitch du Théatre Equibibre-Nuithonie :

"Directrice de la compagnie Non Nova qu’elle a fondée en 1998, la circassienne Phia Ménard s’est très vite intéressée à l’hybridation artistique en plaçant la transformation au centre de son exploration scénique, quelque part entre la recherche identitaire et la mutation intime. Vortex, version adulte de L’Après-midi d’un foehn, est né d’un travail sur les éléments naturels et d’un concept intitulé ICE (injonglabilité complémentaire des éléments). Fascinée par le vent, cette matière d’érosion qui ôte les couches et influence tant les comportements humains, l’artiste française met ici en scène sa propre métamorphose, inquiétante, saisissante, tel un bibendum incognito qui accouche de lui-même en se débarrassant de pelures plastiques qui valsent dans le vent. Un ovni poétique, brillamment dépaysant."

http://www.equilibre-nuithonie.ch/fr/14-15/spectacles/372/
 


vendredi 20 mars 2015

L'éternelle et intense Blue Lady


C'est parce qu'à mes yeux, elle représente la quintessence de l'art chorégraphique que je souhaite aujourd'hui vous présenter le ballet solo "Blue Lady". Avec cette œuvre, la chorégraphe Carolyn Carlson a réussi l'exploit d'exprimer un quelque chose d'inexprimable un sentiment universel indicible et diffus d'infini, de déjà vu et pressenti...

Quand Carolyn Carlson chorégraphie "Blue Lady" (1980) elle vient de prendre la direction du Théâtre de la Fénice de Venise.
Pour saisir l'essence et comprendre la genèse de ce ballet il faut donc se transporter à Venise, dans ce lieu poétique et aquatique où l'eau donne le tempo. Carolyn est dans son studio, son mari compositeur René Aubry est à ses côtés. Il compose la musique pendant qu'elle compose les pas. L'eau les inspire, que ce soit par les bruits des vagues qui clapent sur les murs, rythme ternaire, que l'on retrouve tout le long de sa musique, ou par la lumière qui s'y reflète et s'y décompose. Jeu de reflets, d'ombres et de lumières qui constitue un des éléments centraux de la chorégraphie.

Le ballet "Blue Lady" est à l'image du lieu où elle l'a créée : poétique. Carolyn Carlson définit son travail de "poésie visuelle". Une succession de tableaux vivants où danse et scénographie se fondent. La spiritualité est au centre de sa danse, fortement marquée par la philosophie bouddhiste, elle parle d'élévation, du cycle de vie, de continuité. L'idée d'un passé lointain, d'une mémoire intuitive d'une vie avant la vie n'est jamais loin, ses croyances spirituelles sont finement conjuguées dans ses œuvres. "Blue Lady" est d'une remarquable intensité dramatique. 

La structure du ballet...
Quatre tableaux représentent quarte ages différents.
Premier âge
Et celui de la naissance et de l'enfance, composé de mouvements joyeux, enfantins, ludiques...  

Deuxième âge
C'est le temps des changements d'humeurs, de la transformation, la longue tenue du personnage joue au vent sur les notes de If I Were a Tree/Blue Lady d'Aubry fait de grands mouvements en diagonale et circulaires, de courses qui emplissent la scène...

Troisième âge
Habillée d'une robe-drap rouge vif et élastique (Red Dress), qui constituera la marque visuelle la plus célèbre de la pièce, elle s'étire dans un déplacement lent qui évoque à la fois une métamorphose animale, de la grossesse à la naissance...

Quatrième âge.  
Dernier âge. Celui de la vieillesse. Carolyn Carlson apparaît en robe et chapeau noir, canne-parapluie à la main. Les mouvements sont lents, saccadés. Elle est courbée et effectue ses derniers mouvements derrière les persiennes qui retombent sur la musique intitulée "Vendredi 13". Elle se déshabille progressivement pour se retrouver en robe jaune, dernier élan de vie et de légèreté pour partir vers la lumière du fond de la scène...

C'est dans cette partie du ballet à l'intensité extrême, qu'on retrouve dans une séquence Carolyn Carlson mimer et mettre en mouvement le fameux tableau du "le cri" d'Edward Munch.
(voir dans la vidéo ci-dessous)



   
Musique et danse... 
La répétition des gestes, les mouvements circulaires, les rondes autour d'elle-même, autour d'un centre, petits et grands qui caractérise ce ballet renforce ce sentiment d'infini, de continuité. La musique est construite comme la danse, par des séquences répétitives. Danse et musique s'entrelacent, comme dans une fugue, tantôt l'on entend plus que l'on voit, tantôt l'on voit plus qu'on entend. Comme dans la vie, le musicien et la danseuse sont partenaire, ils dansent et jouent ensemble le cycle de la vie.

Carolyn Carlson aujourd'hui, l'éternelle "blue Lady"...
En tant que fidèle fan de Carolyn Carlson, je ne peux que vous encourager à aller voir son dernier Ballet solo "Dialogue with Rothko" dont la vidéo teaser, en fin de page, laisse entrevoir toute l'intensité dramatique et la force d'interprétation de Carolyn Carlson dont je vais taire l'âge et qui ne semble lui inspirer que de la force et de la beauté...

Lieux :
 http://carolyn-carlson.com/tournees/dialogue-with-rothko-10/


Blue Lady : Extrait deuxième tableau


Blue Lady : Troisième tableau "The red dress"


Blue Lady : Dernier tableau


Teaser : Dialogue with Rothko


http://carolyn-carlson.com/


lundi 16 mars 2015

Dans l'air du temps : Kaori Ito

Les principaux chorégraphes de ces 20 dernières années se sont beaucoup appuyés sur les qualités créatives des danseurs, les poussant à travailler sur l'improvisation, la recherche sur le mouvement et à proposer de nouvelles formes de danse. On les a vus au fur et à mesure du temps, devenir de plus en plus actifs dans le processus chorégraphique et les chorégraphes peu à peu se transformer en simples metteurs en scène. Il est donc tout naturel, que certains de ce talentueux interprètes ont eu envie de voler de leurs propres ailes en se mettant en scène eux-mêmes.

Une de ces interprètes qui incarne parfaitement cette nouvelle génération est Kaori Ito, danseuse contemporaine Japonaise, qui après s'être brillamment illustrée auprès de chorégraphes français tel que Philippe Decouflé, James Thiérrée, Alain Platel ou de Guy Cassiers se produit en solo et propose des chorégraphies à la gestuelle "dans l'air du temps" mélangeant les mouvements d'isolation du corps empruntés du hip-hop, du classique, de l'énergie du contemporain dans une mise en scène au visuel toujours très élégamment soigné, selon l'esthétique Japonaise.

Interprète puissante et remarquablement détachée, déconnectée, sa danse transpire ce monde virtuel anarcap où l'image, la vidéo modifie la perception  du corps.

Kairi Ito sera en Suisse le 24 Avril au Théâtre de l'Octogone à Pully 

http://www.kaoriito.com/fr/

http://www.theatre-octogone.ch